Young Americans est le neuvième album studio de David Bowie, sorti en mars 1975 chez RCA Records.
Il s'agit du premier album de Bowie entièrement réalisé aux États-Unis. Le chanteur abandonne le glam rock qui
l'a rendu célèbre avec son personnage de Ziggy Stardust au cours des deux années précédentes au profit d'une musique
inspirée par la soul et le funk, des genres qu'il a toujours appréciés. La plupart des titres sont enregistrées
à Philadelphie entre août et novembre 1974 avec des musiciens américains, parmi lesquels le guitariste portoricain
Carlos Alomar, qui continue à travailler avec Bowie tout au long des années 1970, ainsi qu'un jeune Luther
Vandross encore inconnu.
Dans un deuxième temps, Bowie enregistre deux chansons à New York avec John Lennon en janvier 1975.
L'une d'elles, Fame, devient son premier single à se classer en tête des ventes aux États-Unis.
Ce virage artistique est un succès aussi bien commercial que critique et permet à Bowie de percer sur
le sol américain. La vision lissée du rhythm and blues qu'il propose ouvre une voie où s'engouffrent d'autres
artistes dans les années qui suivent, à l'époque du disco.
Contexte
Le 11 avril 1974, David Bowie arrive à New York à bord du paquebot France. C'est le début d'un séjour de
deux ans aux États-Unis, un pays qui fascine le chanteur depuis l'enfance. Avec sa petite amie Ava Cherry,
il découvre la scène soul et funk new-yorkaise, et notamment l'Apollo Theater. Il assiste aux performances de
groupes comme The Temptations, The Spinners ou The Main Ingredient, absorbant ces influences et louant leurs
mérites dans la presse.
La tournée de promotion de l'album Diamond Dogs, sorti le 31 mai, commence le 14 juin par un concert
au Forum de Montréal, au Canada. Cette tournée exclusivement nord-américaine se caractérise par un dispositif
scénique complexe, avec des décors représentant un paysage urbain post-apocalyptique et de nombreux accessoires.
Les musiciens, qui se produisent derrière des draperies noires pendant presque tout le concert pour ne pas
détourner l'attention du public, doivent s'en tenir scrupuleusement à leurs partitions tant le spectacle est
chorégraphié à la seconde près. Nicholas Pegg, biographe de Bowie, décrit ces performances comme « plus proche
d'une comédie musicale que d'un concert de rock normal ». Musicalement, la tournée s'éloigne du glam rock
énergique grâce auquel l'artiste s'est fait un nom dans son pays natal au cours des deux années précédentes.
Avec l'ajout de saxophones, de flûtes et d'un hautbois, ses chansons sont réinventées dans de nouveaux arrangements
écrits par Michael Kamen, à mi-chemin entre le funk, la soul et le son d'un big band digne d'un cabaret de Las Vegas.
Sur scène, le chanteur abandonne le look androgyne et extra-terrestre de Ziggy Stardust. S'il a toujours les
cheveux teints, en orange dorénavant, il est vêtu d'un élégant costume deux-pièces avec veste croisée et
pantalon taille haute. Il fait preuve d'une réserve totale vis-à-vis du public, dont il semble ignorer l'existence.
Sa forte consommation de cocaïne a des effets significatifs sur sa santé : devenu pâle et émacié, il sombre dans
la paranoïa et se montre sujet à de violents changements d'humeur. La dégradation de son état physique et mental
est visible dans le documentaire Cracked Actor, filmé durant l'année 1974 par Alan Yentob, ainsi que dans son
passage au Dick Cavett Show à la fin de l'année.
C'est également durant cette période que Bowie découvre la véritable nature du contrat qu'il a signé avec son
imprésario Tony Defries et sa société MainMan : loin d'en être le propriétaire à 50 %, il n'est en réalité qu'un
employé de Defries, qui ne lui reverse qu'une fraction négligeable des bénéfices engrangés grâce à sa musique.
L'ambiance de la tournée se dégrade lorsque les musiciens, déjà mécontents d'être presque invisibles sur scène
et de loger dans des hôtels bon marché, apprennent que les concerts de juillet à Philadelphie doivent être
enregistrés en vue d'un album live. Le bassiste Herbie Flowers lance un ultimatum à Bowie et Defries et
obtient que les salaires des musiciens soient revus à la hausse pour ces prestations
Analyse
La chanson titre des Young Americans de David Bowie est l'un de ses rares classiques, un mélange bizarre
de commentaire social, de style lyrique, de pop anglaise et de soul américaine. Le groupe joue très bien et la
production de Tony Visconti est impeccable - juste une touche d'écho à l'ancienne pour donner aux morceaux un peu
plus de mystère. Le reste de l'album fonctionne mieux lorsque Bowie combine son intérêt renouvelé pour la soul avec
sa connaissance de la pop anglaise, plutôt que d'opter entièrement pour l'un ou l'autre. Ainsi, "Win", l'une de
ses meilleures ballades pop, fait bon usage d'un refrain R&B ; cela fonctionne beaucoup mieux que l'imitation
droite de James Brown "Right". Il fait une version plaintive de « Across the Universe » de John Lennon,
tandis que « Fame » et « Fascination », en plus d'être des titres complémentaires, poursuivent sa fusion des
styles sur une note positive.
Quant à la croissance de Bowie en tant qu'artiste, le point culminant de l'album survient lorsqu'il arrête le
groupe et demande : « N'y a-t-il pas une putain de chanson qui peut me faire craquer et pleurer ? Avec n'importe
quel autre chanteur pop dans le monde, vous sauriez qu'il ou elle veut être pris au sérieux. Avec Bowie, vous croyez
qu'il fait à moitié et qu'il dit à moitié ce qu'il pense qu'il est censé dire. Ce qui n'est pas mal, mais seulement
comme il est.
COVER-STORY
Pour la pochette de l'album, Bowie envisage d'abord de faire appel au peintre Norman Rockwell,
mais il y renonce en apprenant qu'il lui faudrait au moins six mois pour réaliser son portrait. En fin de compte,
c'est une photographie du chanteur prise par Eric Stephen Jacobs le 30 août 1974 qui est choisie.
Retouchée à l'aérographe, elle montre en gros plan le visage de Bowie, les bras croisés devant le menton,
une cigarette allumée à la main. Le tout est conçu pour rappeler l'esthétique de l'âge d'or d'Hollywood.
Cette photo s'inspire fortement d'un portrait de Toni Basil réalisé par Jacobs pour la couverture du magazine
After Dark qui reprenait les mêmes codes : éclairage par l'arrière, cigarette allumée, bijoux étincelants.
Pour Matthieu Thibault, cette pochette « s'adapte parfaitement au style factice de la musique par la pose de star
hollywoodienne apprêtée et faussement nonchalante » de Bowie